CHAPITRE X
veux-tu que je te dise? Mes globules blancs, eh bien, ils doivent être violets quand je quitte le San-Cai los hospital, deux heures plus tard.
Une gonzesse comme le docteur Tolédo, faut se l'affronter, mon gars.
Avec un calbard d'acier, pour commencer. Et un self-contrôle testé au compteur Geiger.
Ah! la gueuse exquise! Ah! l'horrible beauté! Chatte griffue! Garce suave! Volupté sauvage! Incendie sans flamme! Magnétiseuse au fluide glacial!
Te m'a assez ensorcelé au cours de ce repas d'amoureux sans amour. Ses langueurs, ses pâmades, sa voix rauque, son trouble, son kimono retroussable. Un goumi de maçon italoche, je me suis traîné pendant ces deux funestes plombes. Le gourdin des bourgeois de Daumier! Le général massue! Un chibroque d'imperator-rex! Le cirque Rancy (ranci, transi)! Le Fuji-Yama dans le kangourou! L'étroit lancier du Bengale! Henri II from Montgomery! Mais que tchi pour l'étalonnage, mon canard! La grande ceinture! Une bisouille à l'arrachée, et encore j'ai dû livrer l'assaut du siècle. Je me retire avec un zigodon morfondu. Que va me falloir traiter à l'eau froide ou au bromure. Pourtant tout avait démarré sur le satin. Une dînette royale : truites fumées, filets aux morilles... Une boutanche d'aquavit pour la truite, un mignon Pommerol un peu trop chambré au bain-marie, mais encore riche en bouquet néanmoins. Des sorbets assortis, aux parfums peu communs, dont certains moins dégueulasses que d'autres. Donc, la chère était valable, même si elle était faible. J'augurais bien. Je me présentais en conditions optima pour la renversée féerique. La harde gauloise. Sonnez clairon. Vive la France! Merci papa, merci maman!
Et puis que tchi!
Zéro.
— Laissez-moi, je vous prie. ou
— Soyez sérieux, mister Antonio.
Comme si ÇA n'était pas sérieux!
Comme s'il y avait PLUS sérieux que ÇA!
Enfin quoi, merde, quand une nana invite un julot à claper en tête à tête, c'est éloquent, non? Ça préambule quèque chose, tonnerre de Zeus! Le zig peut préparer son slip de cérémonie, vrai ou faux! Eviter de boire de la bière et pas chipoter de la poivrière, qu'est-ce que t'en penses?
Tantale, je te dis!
Mais un Tantale qui n'te refilerait pas un Pélops. J'ai beau tout essayer : les mots tendres, les longs silences, la pression de main, la nostalgie, l'aveu enroué, je me ramasse comme un panier de patates. The bide! Le cerclo!
Et je m'en vais, de grinçante humeur.
Au pas de l'oie!
Fou d'une rage qui ne trouve pas ses mots. Avec, en sus (non, parle pas de sus), le remords d'avoir largué ma mignonne Cynthia qui, elle, visiblement, n'attend qu'un geste de moi pour faire le reste.
Bien fait pour moi!
L'homme qui court après la fortune alors qu'elle s'étire dans son lit! Fable!
Je suis ma propre fable.
Non, mais qu'est-ce qui m'arrive! Une sublime, exquise et soumise souris m'attendait. Du boulot faisait rage et j'ai tout largué pour un repas avec la doctoresse, à quelques mètres d'un agonisant. L'homme est bizarre, je te jure. Biscornu de la touffe. Il abracadabrante à tout va.
Furieux, je me mets à arpenter Park Avenue. Au loin, du côté de Grand Central, des enseignes rutilent dans cette nuit à la luminosité boréale... Je décide de rallier à pincebroque la 44e rue. Il fait doux. Un vent venu de l'Hudson agite les dais de toile sommant les perrons cossus. On entend brailler les téloches. Quelques garçons sales, à longs tifs, passent en nasillant des trucs indis-
tincts, portant leurs putains de guitare sur l'épaule, comme un bûcheron sa cognée. Nases et camés. Ils paraissent réciter des oraisons. Ils ont des trucs mexicains, genre ponchos, sur les endosses. Un petit vieux sans cravate, avec des lunettes de fer, balade un clébard plus gros que lui le long des façades éclairées.
Je vais. That is New York! Je ne m'y sens pas bien. Lors de mes premiers voyages, j'étais aux anges, je trouvais cette ville fabuleuse. A présent elle sue le crime, le vice, la dépravation. J'ai'hâte de me tailler, de retrouver Pantruche qui, vaille que vaille et quoi qu'on en bave, continue d'être une vraie ville, avec un cœur et une âme et des rires encore... Des rires. Voilà : ici le rire est fini, mortibus, oublié. On ne sait plus ce que ça a voulu dire, rigoler. T'essaierais de leur expliquer, ils pigeraient que pouic.
Déjà la 44e!
Je vire à gauche, côté East.
D'énormes poubelles noirâtres encombrent déjà le trottoir. Des mecs s'insultent quelque part, dans les hauteurs. Les immeubles deviennent cafardeux avec leurs échelles d'incendie rouillées qui zigzaguent sur les façades de briques sombres. J'aperçois le « Club » de notre ami Roy.
Dit King.
Né Con?
En voilà un qui m'est devenu indispensable. Il est la plaque tournante de cette foutue histoire.
Un gros portier fagoté comme uo as de pique pourri sifflote, acagnardé contre la porte laquée en vert presque noir. Il a une dégaine à se faire rapatrier par l'Armée du Salut. Une tronche d'ivrogne qu'émiette un eczéma ravageur. Sa barbe de quelques jours est d'un blond gris malade. Il porte une tunique bleue à épaulettes dédorées, une casquette dont les galons pendent comme des spaghetti d'une soupière.
— Hello!
lui fais-je le plus joyeusement
pos
sible.
Il continue de siffler quelques mesures d'un truc que chantait Bing Gross Bite du temps où il chantait, puis sourcille pour me demander :
— Vous en êtes?
— Si c'est de la pédale que vous parlez, absolument pas, réponds-je, mais on ne sait jamais ce que l'avenir nous réserve.
Ça ne le fait pas rigoler bien que je trouve cette riposte d'une drôlerie irrésistible...
Il me désigne la porte d'un pouce dont l'ongle ressemble à un faire-part de deuil.
— Du Club.
— Pas encore, mais je viens me faire inscrire.
— O.K, O.K! consent-il avec un relatif empressement.
Il presse un timbre et la porte s'écarte. J'ai idée qu'on ne doit pas trop chicaner sur la clientèle, chez mister Roy. Le pèlerin qui se radine avec de la vaisselle de fouille, qu'il soit membre ou non, est le bienvenu.
Je pénètre cfans un no man's land sombre, tendu de velours noir et seulement éclairé par un chandelier à quatre branches. Une table, une chaise, un téléphone. Une dame sur la chaise, derrière la table, devant le téléphone.
— Hello, sir!
me fait la dame (bien que je
ne
sois pas sa sœur, ni même son frère).
Je lui réponds « Hello ».
Cet échange de belles manières étant effectué, elle me demande si je viens pour le billard ou les
Ne vous demandez pas pourquoi certains cons sont sympathiques, vous finiriez par découvrir ce que ça cache.
cartes. Sa main se pose sur le bigophone. Probable qu'on doit dispatcher les arrivants selon leurs intentions.
— Je viens pour
mister Roy, réponds-je, uni
quement pour mister Roy. Et je viens même de
France pour ça.
Elle lâche le combiné et fait la moue.
— Vous tombez mal. il n'est pas ici ce soir.
— Qu'à cela ne tienne, j'irai là où il se trouve, je ne suis pas sectaire quant au lieu de la rencontre.
— Mais j'ignore où
il est.
Voilà qui complique les choses.
— Ecoutez, fais-je
à la personne en lui dédiant
un sourire franc et massif, c'est une affaire très
sérieuse et très urgente qui m'amène, il est indis
pensable que je le voie rapidement. Parole
d'homme, je viens de Paris exprès pour. Vous
entendez à mon accent comme je suis bien fran
çais de bas en haut, n'est-ce pas?
A son tour de rigoler.
— Pour ça, oui : ça s'entend.
— Alors?
Elle hoche la tête.
— Il y a un couple d'heures il est venu, comme chaque soir. Il paraissait de bonne humeur. Et puis un moment plus tard il a reçu un coup de téléphona et il est reparti en annonçant qu'il ne repasserait pas. Il semblait brusquement de très mauvais poil.
— Le portier battait déjà la semelle lorsqu'il a filé?
— Naturellement. Duck prend sa faction à l'ouverture dès huit heures.
Un petit'salut de la main, je pirouette. La dame me décliquette la lourde, depuis sa place, grâce à un contacteur à pieds.
Le portier siffle toujours la même mélodie. De temps en temps, il se fourbit la frime et son
eczéma neige comme
dans les boules de verre qu'il faut retourner pour obtenir une
tempête sur un paysage savoyard. Il y en a un chouette monticule autour de lui. On dirait de la
sciure de bois. Il sourcille en me rapercevant, comme l'écrivait
Adrien Claudel dans Le Soulier de
Satan.
— Déjà! dit-il.
Avant de répondre quoi que ce soit, je prends un billet de cinq dollars que je plie en deux.
Le gars mate le bifton comme s'il était chargé d'illustrer Fascination.
— C'est à vous, ça? lui demandé-je en avançant la banknote vers lui.
— Il me semble, oui, assure l'impudent en la captant avec une prestesse de caméléon.
— Tout à l'heure, votre patron, mister Roy, a quitté le club précipitamment. Vous lui avez appelé un taxi, je pense. Quelle adresse a-t-il donnée?
— La sienne, répond simplement le portier.
— Qui est?
L'homme aux points de desquamation abandonne pour un temps ses vésicules à sécrétion séreuse pour se tapoter la tempe de manière déplaisante.
— Ça ne va pas? me demande-t-il.
— A cause?
— Vous imaginez que je donne, l'adresse du singe à n'importe qui?
— Un mec qui vous refile dix dollars n'est pas n'importe qui, Duck.
Il sourcille.
— C'était cinq, m'sieur.
— Mais ce sera dix, dès que j'aurai le tuyau, promets-je en tripotant un second billet vert.
L'embarras du portier m'amuse. J'aimerais pouvoir le flasher pour te montrer sa pauvre bouille à mon retour.
— Ecoutez, Duck, c'est pas la combinaison du
coffre de Fort Knox recelant la réserve d'or du trésor américain que je vous demande. Je vous parie ces cinq dollars contre les cinq que vous venez d'engranger que si je rentre dans votre étable, en trois minutes je l'obtiens, cette adresse.
— Vous donnez pas ce mal, m'sieur, déclare l'homme en me présentant sa main, le singe habite 79 bis Lafayette Street.
« C'est un secret pour personne », ajoute Duck afin de soulager sa conscience.
* **
Lafayette street.
La voici. Ou plutôt, la voilà, comme dirait Hugo pour les nécessités d'une rime (Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux : les voilà).
Le 79 bis est un immeuble pas reluisant, dans les bruns-excrément, en bordure de Chinatown. En découvrant la maSure, je me dis qu'il est surprenant qu'un directeur de « Club » pioge dans un coin aussi locdu et je me demande si, d'hasard, le portier ne m'aurait pas pris pour une pomme gâtée. Note qu'on a vu pire. Je connais, en France, des gars pleins au flouze qui habitent dans des appartements où tu n'oserais pas reloger un clochard à la retraite.
Je me pointe donc jusqu'aux plaques des locataires, flanquées de parlophones. Le porche est lugubre, sa peinture écaillée ressemble à la bouille eczémateuse du batteur de semelles. Il est surélevé, trop large, mal éclairé par des lanternes ridiculement prétentieuses, aux verres lapidés par les gamins du quartier. Une double porte de fer forgé, garnie de vitres dépolies, défend l'entrée de l'immeuble...
Je cherche la plaque de Roy.
Et je trouve Steve Mac Roy-King 4e étage.
J'appuie sur le bigougnot de l'interphone. Per-
sonne ne me répond. J'attends, je rejoue une marche effrénée. Toujours rien.
A cet instant la porte vitrée s'écarte sur une personne du genre épave, plus chargée qu'un canon de D.C.A. pendant une alerte. Il s'agit d'une bonne femme qui ne doit pas avoir dépassé la trentaine, mais qui en paraît le triple. La jeune vieillarde peaufinée par la gnole et la came est rousse, échevelée. Ses tifs tire-bouchonnent sur ses épaules. Elle a les pieds nus dans des savates d'homme. Une chemise de nuit honteuse pend dessous un manteau de vison taillé dans des peaux de lapins galeux.
Elle marche comme un funambule sur son fil, en regardant droit devant elle. Illico, le San-Tan-tonio se précipite et coince la lourde avant qu'elle ne se soit refermée. La méduse ne réagit point. Continue sa déambulation.
Je m'engouffre dans l'immeuble.
Dedans, c'est plus sinistre encore qu'à l'extérieur. Plus sombre, plus cacateux. Ça pue la grève des éboueurs et la nurserie négligée. Chose inattendue, fortuite, compte tenu de ces lieux déprimants, une musique de clavecin retentit dans la construction. Il ne s'agit pas d'une retransmission de radio ou de T.V, non plus que d'un disque. Quelque part, quelqu'un joue de cet instrument archaïque, si incompatible avec les U.S.A. et voilà que dans ces profondeurs brunes, dans ce gigantesque misérabilisme, les notes grêles prennent des sonorités désespérantes. Elles pleuvent sur l'immeuble comme mille dards sur un château fort assiégé. Elles font mal. Sont insoutenables.
Deux ascenseurs déglingués se tiennent compagnie à droite de l'entrée. J'en frète un et sélectionne le quatrième étage. La cabine d'acier est plus gaillarde qu'il n'y semblait, car elle m'emmène à destination avec une fulgurance qui ferait dégobiller une institutrice anglaise.
Une dizaine d'appartements par étage. Celui de Roy-King se situe tout au fond, dans les pénombres. Une carte de visite pisseuse l'annonce. Nouveau numéro à sonnette. Inutile. Personne. Or, moi, tu me connais depuis les temps qu'on débloque de conserve? Je déteste me déranger pour la gloire. Je pars du principe qu'aucun acte ne doit être gratuit. La gratuité de nos actions est un abandon de l'homme. Un veule renoncement. C'est-à-dire qu'elle participe d'une philosophie diamétralement opposée à la mienne.
Vive donc San-Antonio, tu m'excuseras, mais il convient de savoir se rendre hommage le cas échéant, et là il échoit.
Sortant donc mon mignon camarade Sésame de ma fouille (car il m'accompagne jusqu'en mes déplacements à l'étranger), j'entreprends d'effrac-tionner chez le Roy des King, le King des Con. Hop! Hop! Fric-crac! Cric-frac! Entrez, docteur, vous êtes chez vous!
Alors là, c'est la douche écossaise, mon neveu. Le Palais des mirages de Luna Park. Tu as l'impression de faire un cauchemar onirique. Tu doutes de ta raison, gamin. Brusquement, v'ià que tu as devant toi le plus somptueux appartement du continent américain et^de sa périféerie. Tu crois ouvrir la porte d'une chaudière et tu pénètres dans un congélateur, ou inversement. Cette image pour te notionner sur ce qui m'ar-rive. C'est si tellement abasourdissant que je me etourne afin de mater le palier, son vol de bois disjoint garni d'un tapis dont, comme dans une ièce de patronage, tu aperçois la trame. Les mpoules poussiéreuses, aux globes cassés... La rampe branlante (et branlée). Les portes mal peintes, tout ce triste, ce lugubre, ce purgatoire...
Tantôt, à la clinique, j'ai été surpris de pénétrer dans du feutré délicat, mais le luxe commençait à l'extérieur, aussi la transition était-elle moins
brutale. On la
dominait facilement. Là, c'est terriblement « choc ». Tu
vacilles.
La lumière brille a giorno. Répandue par de délicates lampes aux abat-jour de parchemin. Des torchères Renaissance. Des bois polychromes. Des meubles espagnols. Des tapis. Des tableaux. Les murs sont blancs, en enduit gratté. L'on a abattu les cloisons pour obtenir un immense living d'au moins quatre-vingts mètres carrés, doté d'une magnifique cheminée gothique. Splen-dide, te dis-je. Purement splendide! La seule chose qu'on déplore en visitant ce merveilleux appartement, ce sont les trois cadavres qui le jonchent.
* **
Déboutonne ton col de limouille et respire profondément. Te laisse pas asphyxier par une surprise aussi forte, camarade môme. Tu n'ignores pas qu'avec Sang-Antonio il faut s'attendre à tout, et particulièrement au pire?
Je conçois ta secousse.
Ile-nain-porte : domine-la si tu veux m'escorter par les routes dabrantes de l'Abraca. Trois cadavres jetés pêle-mêle dans une pièce, aussi vaste soit-elle, aussi bien tenue soit-elle, cela fait désordre, sache-le.
Surtout qu'ils ont saigné comme des gorets à l'abattoir, ayant été révolvérisés presque à bout portant. Mamma mia, ces flaques de raisin. D'un rouge qui déjà s'assombrit, se vernisse.
Il y a là deux femmes et un homme. The man était notre ami Roy. Il est encore vêtu de son manteau et son chapeau noir est resté sur sa tête quand il s'est écroulé, foudroyé. Il a une main dans une poche. Mais ce qu'il y cherchait, en l'occurrence un soufflant, il n'a pas eu le temps de le sortir. Quatre bastos dans le placard. Une au cou, qui lui a sectionné la carotide, trois autres dans la région du cœur. Avec ça, y'avait de quoi fabriquer quatre morts!
Bon poids.
Les deux dames sont dans des postures étranges. Jupes troussées, expression de terreur sur le masque. Pour le vieux routier qu'I am, la scène est éloquente.
Quelqu'un attendait Roy en compagnie des deux dames. Lorsqu'il est arrivé, il l'a flingue immédiatement, au moyen d'un feu vraisemblablement muni d'un silencieux pour préserver la quiétude des voisins. Alors ces dames se sont affolées, il a retourné son arquebuse contre la blonde (car, j'oubliais de te préciser, m'en veuille pas, mais je ne sais plus où donner du descriptif, y'en a une blonde et une brune. La blonde semblant plus jeune que la brune, disons que l'une et l'autre ont entre 35 et 40 carats).
Il a abattu la blonde dans les mêmes circonstances que le camarade Steve. Tandis que la brune, elle, il se l'est payée par-derrière, d'une praline dans la nuque qui lui a fait péter la calotte avant d'aller fendre la vitre de la baie. La femme cherchait à ouvrir la fenêtre, puisque toute retraite vers la porte lui était coupée.
Courir n'a pas dû être fastoche pour elle, vu que, tiens-moi well, elle a les jambes entravées par une chaîne. Cette dernière fait une boucle à chacune de ses chevilles, boucles maintenues au moyen de deux petits cadenas. Voilà qui est du plus gracieux éphèbe, mais qui me pose un problème supplémentaire : qui est cette femme que Roy détenait chez lui. enchaînée? T'as une idée, toi ?
Je me tâte sur la
conduite à observer. Prévenir les matuches? Ma conscience
professionnelle m'y incite, mais le bon sens me retient. J'ai beau
être poulet, les confrères yankees vont me poser des tas de
questions et me bloquer aux U.S.A. jusqu'à ce que l'affaire soit
éclaircie. Or cela risque de prendre du temps. Beaucoup de temps.
Je me convoque dès lors pour une conférence expresse et me tiens le
langage suivant : « Mon cher San-A., te voici dans la pistouille
jusqu'aux sourcils inclus. Car ta démarche au Club de Roy va se
retourner contre toi. Lorsque le drame sera connu, les deux
employés de la boîte parleront de ta visite, de ton désir de mettre
d'urgence la main sur Roy et dare-dare, les soupçons se porteront
sur toi. Par conséquent, mon brave petit Français de France, mets à
profit l'avance que tu as sur la rousse newyorkaise pour regagner
tes pénates. »
Ayant ainsi exprimé, je bombe au téléphone et compose le numéro du juge Caïn, mon très aimable hôte, dont la carrière risque d'en prendre un coup dans la carrosserie quand on le soupçonnera d'avoir hébergé un meurtrier.
Par veine, c'est Cynthia qui répond. Je ne pouvais espérer mieux.
— Du nouveau? me demande-t-elle gaiement.
— Un tas de nouveau grand commak, mon cœur. Et ce nouveau m'oblige à rentrer à Paris d'extrême urgence.
— Quoi! Déjà! s'écrie-t-elle avec de la désolation plein le combiné.
— Hélas oui. Soyez chic : retenez-moi immédiatement une place à bord du premier zinc en partance pour Pantruche, fût-il guatémaltèque ou malien, et amenez-moi ma valoche au Kennedy Airport Je vous y rejoindrai dans moins d'une
heure.
— Je vous raconterai ça avant de décoller, juré. Pour le moment, ce n'est pas possible.
Je raccroche et commence à explorer minutieusement l'appartement.
Bien.
Je vas te terminer cette première partie là-dessus. J'ai l'air de tourner un peu court, de te saccager le panard, mais j'agis pour ton bien. Je préfère que tu rumines un peu toutes ces salades avant de t'en servir d'autres. Je ne voudrais pas me vanter, mais t'as déjà du matériel de gam-berge en surabondance, fiston.
Et de la viande froide par quintaux, si tu veux bien récapituler.
Les morts, à partir de tout de suite, moi je renonce à les dénombrer. Je ne suis pas expert-comptable, et les chiffres me font aussi peur que les chauves-souris font peur à un zig atteint de delirium.
Voilà vraiment une histoire à périphéries, non? Ou je me goure?
Mais attends la suite, camarade.
Je te promets que tu vas en dérouiller plein les châsses. En plus, ça va devenir bien plus con que jusqu'à présent.
Tu seras dans ton élément, bouge pas.
C'est dès lors à l'instant qu'on va vraiment se la respirer, la bande de Con. Auparavant, fallait que je cimente le socle de cette aventure, tu comprends? Moi, j'suis au syndicat des z'auteurs de polars. Je dois assumer mes responsabilités professionnelles si je veux pas que mon contrat vole en confetti dans la corbeille de mon éditeur. Tu le connais pas, LUI?
Le Parrain, c'est de la guimauve à côté.
Alors moi, étant payé pour policer, je police avant tout.
Et je policerai toujours.
Je suis à la disposition d'une histoire.
'est ma fierté et mon drame.
De ce fait, mes délirades n'en sont plus que méritoires.
Tu comprends?
Je voudrais tant que tu comprennes.
Mais si tu ne comprends pas, tant pis. Ça ne fera jamais qu'un con de plus dans ce livre.
Et sur ce, je déclare en toutes lettres :
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
La suite de ce texte a été publiée dans la collection Presses Pocket (n" 1719) sous le titre : « Etre con ou ne pas. That is the question. »
AUGUSTE le BRETON
L'ARGOT CHEZ LES VRAIS DE VRAIS
L'argot, langage des rues, n'est pas exclusivement employé par ceux qui vivent en marge des lois, ainsi que certains aiment à le proclamer. Le croire est une erreur. Un chauffeur de taxi, un titi parisien, un couvreur sur son toit, un mécanicien dans son garage, etc., usent couramment de la langue verte. Bien souvent, ce sont eux qui l'ont enrichie en créant un mot qui, ayant fait mouche, a aussitôt été adopté par le peuple des faubourgs, ce peuple à qui l'on est redevable, et à lui seul, de l'ARGOT
WOODY ALLEN
POUR EN FINIR UNE BONNE FOIS POUR TOUTES AVEC LA CULTURE
Pour en finir une bonne fois pour toutes
avec la culture est le premier livre d'un des
derniers humoristes vraiment sérieux
d'Amérique, Woody Allen.
Pour en finir est un recueil de tous
les textes de Woody Allen parus dans
le « New Yorker Magazine », plus d'autres
morceaux hilarants publiés ailleurs,
et plusieurs autres joyaux écrits spécialement
pour ce livre.
Pour en finir règle leur compte à des sujets
aussi divers que la Mafia, l'invention
du sandwich, les révolutions en Amérique
latine et les aventures du comte Dracula.
JEAN-CHARLES
LE DICTIONNAIRE DU SPHINX
Si l'on en croit la légende, Œdipe évita
la mort en trouvant l'énigme que lui posait
le Sphinx. Les lecteurs du Dictionnaire
du Sphinx éviteront l'ennui en s'efforçant
de répondre à plus de cinq cents énigmes,
devinettes, charades, logogriphes, fables-express,
rébus et autres problèmes amusants, ou subtils.
Le Dictionnaire du Sphinx contient également
de nombreuses anecdotes sur l'histoire des
énigmes qui, depuis les temps les plus reculés,
ont enchanté tous les peuples du monde.
Aujourd'hui comme hier, parents et enfants
pourront mettre à l'épreuve la perspicacité
de leurs amis, car devinettes et attrape-nigauds
sont aussi drôles au bureau, à l'atelier
ou à la caserne qu'à l'école ou en vacances.
|
Presses
Presses Pocket
8 rue Garancière 75006 Paris tél. 32912 80
Composition réalisée en ordinateur par IOTA »
IMPRIME EN FRANCE PAR BRODARD ET TAUPIN
7, bd Romain-Rolland - Montrouge.
Usine de La Flèche, le 03-01-1979.
6823-5 - N° d'Editeur 1431. l"r trimestre 1979.